Apprendre des cachalots

En tentant de comprendre les cachalots, l’océanographe François Sarano reçoit une leçon de vie qu’il partage dans un livre passionnant « le Retour de Moby Dick ». Ce livre scientifique et philosophique offre des perspectives renversantes pour saisir le monde tel qu’il est, et tel que nous voudrions qu’il soit demain. Comment faire pour que bientôt 10 milliards d’humains vivent en paix ? L’observation de la vie des cachalots apporte quelques pistes de réponses.

Eliot est un explorateur, c’est le Marco Polo des cachalots !

Ancien chef d’expédition à bord de la Calypso, François Sarano rencontre Eliot à l’ile Maurice en 2013. A l’école de Jane Goodall, dont nous avons récemment retransmis la conférence de presse lors de son passage à Paris, François Sarano donne des noms aux cachalots qu’il étudie. Dans le journal Libération, il s’explique à propos d’Eliot : « Ce cachalot a changé la donne. J’ai mesuré la complexité de ce cerveau qui s’intéressait à autre chose qu’à sa seule survie. Le christianisme («tu domineras et peupleras le monde») et le cartésianisme, mal compris, ont réduit l’animal à une sorte de mécanique répondant à des stimuli. Pas du tout ! On s’aperçoit très vite que chaque animal a sa personnalité, qu’il construit son «monde propre», son Umwelt, et que ce monde propre lui permet d’inter-réagir à sa façon face à des situations complexes, puis de les résoudre. L’histoire du hameçon que je raconte dans le livre est saisissante [Eliot est allé voir les humains pour qu’ils lui enlèvent un hameçon planté dans sa mandibule, ndlr].

Dans ce clan de cachalots, Eliot fait montre d’une grande curiosité. « Leur curiosité, et cette capacité à utiliser leur temps libre – ils en ont beaucoup – fait réfléchir sur l’unicité de ce qu’on appelle notre intelligence, en tout cas de notre rapport au monde. »

Peut-on comparer l’intelligence des cachalots à celle des grands primates, des dauphins, ou même à la notre ?

« Il ne faut surtout pas chercher à comparer. On vit dans des mondes trop différents. Cependant ce sont des mammifères. Or dans l’ensemble de l’arbre du vivant, il y en a relativement peu. Comme il y a peu d’espèces qui, comme les cachalots, s’attachent à préserver leur progéniture, à rester avec leurs jeunes pendant dix ans, nager avec les dauphins à leur transmettre quelque chose de culturel. Donc nous sommes proches. Mais nous ne serons jamais à l’égal des cachalots et eux ne seront jamais à notre égal. Il reste tout à apprendre. Leur communication est un mystère. On sait qu’il existe des dialectes, et que chaque clan a son propre patois. ». A ce propos, lire notre article sur les baleine.

En écoutant François Sarano, on perçoit rapidement que l’observation scientifique se double d’une quête spirituelle.

Comme si comprendre l’autre, fut il animal, était aussi un moyen d’apprendre sur soi, et sur son espèce. Ainsi, malgré les limites liées à la communication, les cachalots sont inspirants. D’abord, il y a chez eux le désir de comprendre l’autre : « Quand Eliot vient me voir, il n’a pas d’a priori sur l’altérité, mais ça l’intéresse et il m’interroge. Nous avons oublié ce désir d’établir une relation sans dépendance, sans contrepartie, qui enrichit et apaise. C’est le «apprivoise-moi» de Saint-Exupéry. Le renard ne comprendra jamais le Petit Prince et je ne comprendrai jamais Eliot, mais cette tentative crée un lien paisible. La société des cachalots est aussi un modèle de solidarité et d’altruisme. S’ils ont réussi à survivre, c’est grâce à cela. Ils peuvent encore nous réapprendre les vertus du temps libre. Et de l’inutile, qui est essentiel. Si on y réfléchit, que recherche-t-on, tous ? Une forme de bien-être. »

« Après avoir satisfait leurs besoins élémentaires, les cachalots passent leur temps à être bien et à caresser les autres. Pas mal ! »

Face aux disparitions de nombreuses espèces, aux catastrophes environnementales, et aux défis liées à la croissance démographiques, François Sarano en appelle à «retrouver une paisible complicité originelle avec nos coloca-Terre sauvages». Ce qui peut paraître utopique. « Avant, on a vécu en harmonie avec les autres espèces. Dans la nature, le côtoiement pacifique entre espèces est la règle. On a mis dans la tête des gens qui ne sont jamais allés dans la nature l’idée que la loi de la jungle, c’est l’agression permanente. Non, c’est totalement erroné. Si nous vivions comme les espèces dans la jungle, nous serions en paix, il y aurait de la place pour tout le monde, car aucun prédateur ne tue plus que ce qui lui est strictement nécessaire pour vivre. On pourrait retrouver cette relation si nous ne les agressions pas en permanence. »

Disparition des espèces : il est inimaginable de penser qu’il est trop tard.

Dans son livre, François Sarano nous explique pourquoi il n’est pas trop tard, pourquoi il est même inimaginable de penser qu’il est trop tard. Je vous conseille vivement cette lecture. Pour en savoir plus sur l’auteur vous pouvez vous rendre sur le site de l’association Longitude 181 qu’il a cofondé, et qui s’attache à la préservation des océans, ces derniers grands territoires sauvages.